Le Défenseur des Droits fermement opposé à la pénalisation

Extraits de la réponse du Défenseur des Droits à la demande de la Commission Spéciale (abolitionniste) de l’Assemblée Nationale :

Avis du Defenseur des Droits

le Défenseur des droits regrette que les personnes prostituées soient uniformément perçues comme des victimes dans la proposition de loi. La prostitution est un phénomène hétérogène et complexe comme en témoigne notamment le rapport de l’Inspection générale des affaires sociales publié en 20121. En considérant de manière arbitraire que les personnes prostituées sont majoritairement des « victimes », « faibles » et « exploitées » le législateur reste sourd aux différents rapports démontrant l’absence de chiffres fiables et aux observations faites par les associations. En effet, les prostitué-e-s ne sont pas toutes et tous victimes de traite et la prostitution reflète des réalités multiples. La proposition de loi n’est pas à l’image de cette réalité polymorphe et tend à faire l’amalgame entre prostitution et traite.

 

Le Défenseur signale que l’interdiction de l’achat d’un acte sexuel basée sur le modèle suédois n’est pas la mesure la plus efficace pour « réduire la prostitution et pour dissuader les réseaux de traite et de proxénétisme de s’implanter sur les territoires » et encore moins « la solution la plus protectrice pour les personnes qui resteront dans la prostitution » comme annoncé dans la proposition de loi.
Outre le fait qu’en France comme en Suède, nous ne disposons pas de chiffres fiables et qu’il est donc difficile de quantifier les effets de la loi sur le système prostitutionnel, le modèle suédois cité en référence est aujourd’hui fortement controversé. Ainsi, l’impact d’une telle disposition sur le phénomène prostitutionnel en France s’annonce limité voire nul.
En revanche les effets sur la santé, la sécurité des personnes et leur accès aux droits fondamentaux sont quant à eux bien étayés par les institutions internationales (OMS, ONUSIDA, PNUD) et françaises (CNS, IGAS, INVS). A l’instar des effets engendrés par la pénalisation du racolage en France, la pénalisation des clients accentuera la précarité des personnes prostituées en les forçant à davantage de clandestinité. En effet, une telle mesure déplacera l’exercice de la prostitution de rue dans des zones toujours plus reculées et/ou isolées, empirant les conditions d’exercice déjà difficiles.
A ce titre, cette plus grande clandestinité rendra plus difficile l’action des services de police dans la lutte contre la traite et le proxénétisme. Comment lutter contre les réseaux dès lors que les victimes ne sont plus visibles et accessibles ?

Cette disposition aura également pour effet d’exposer davantage les prostitué-e-s à la violence de certains clients et aux contaminations au VIH et/ou aux hépatites virales. L’OMS, l’ONUSIDA et le CNS sont unanimes : la pénalisation de la prostitution nuit à la santé des personnes qui la pratiquent. Qu’elles soient ou non contraintes à la prostitution, les personnes proposant des services sexuels tarifés verront leurs capacités de négociation réduites les forçant à accepter certaines pratiques ou rapports non protégés.
Par ailleurs, leur accès à la prévention et aux soins sera encore plus problématique en les éloignant des réseaux de soutien des structures associatives et médicales existantes et en rendant plus complexe l’action des acteurs de prévention. Comment appliquer une véritable politique de réduction des risques pourtant inscrite dans la loi dès lors que les personnes se prostitueraient dans des lieux mal connus ou inaccessibles aux associations ?
Enfin, en entretenant l’amalgame entre travail du sexe et délinquance, la pénalisation de la prostitution accroit la vulnérabilité juridique des prostitué-e-s parfois victimes de harcèlement policier, de gardes-à-vues abusives et d’humiliations. De ce fait, les associations observent une plus grande défiance vis-à-vis des forces de l’ordre et un moindre recours en cas de violence subie. Au lieu d’être une source de protection, la sanction des clients pour recours à la prostitution entrave dans l’accès aux droits des personnes prostituées.
Par conséquent, le Défenseur des droits relève avec satisfaction la suppression de l’article 16 et ne souhaite pas sa réintégration.

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