Amnesty International : Un vote historique en faveur de la dépénalisation

Amnesty International vote en faveur de la dépénalisation (décriminalisation) de tous les acteurs du travail sexuel

Article publié dans le Devoir

 

Le 11 août dernier, le conseil international d’Amnesty International (AI) a confirmé sa volonté de proposer la décriminalisation totale de la prostitution. Dans le sillage d’autres grandes agences internationales UNAIDS, WHO, Human Rights Watch, The Lancet, GAATW, AI adopte une position qui considère la prostitution comme un travail.

Ce vote est soutenu par l’ensemble des milieux protravail du sexe (TDS) : que ce soit le Stella québécois, le Strass français et la grande plateforme internationale, le NSWP (Global Network of Sex Work Protects) qui ont félicité l’AI. Longuement murie, cette décision de l’AI est cohérente avec son action en faveur d’une protection des droits fondamentaux des personnes vulnérables que sont les travailleuses et travailleurs du sexe. Cela fait donc du 11 août 2015 une journée historique pour l’AI. La reconnaissance conférée par cette organisation internationale contribuera-t-elle à changer le regard que l’on porte sur leurs revendications, encore marginalisées ? Rien n’est moins sûr, car les féministes restent profondément divisées sur cette question, comme en témoigne la polémique suscitée par cette décision.

Il importe ainsi d’interpréter ce vote à la lumière des combats séculaires des féministes sur la question de la prostitution. Cette nouvelle posture pro-TDS marque un changement radical dans l’orientation historique des grandes organisations internationales, historiquement favorables aux recommandations abolitionnistes.

Une perte d’influence des milieux abolitionnistes ?

Depuis sa fondation au début du XXe siècle, la Société des Nations et à sa suite l’ONU ont adopté le modèle plutôt « abolitionniste », établi sur l’argumentaire féministe qui fait de la prostitution et de la traite des femmes (dite des Blanches) un esclavagisme sexuel mondialisé. Ces milieux abolitionnistes, habitués à compter ce genre d’organisme parmi leurs alliés, ont donc très fortement riposté, même avant le vote du 11 août.

Deux réactions ont été organisées : une française, sous la forme d’une tribune publiée le 8 août dans Libération, et signée entre autres par les Femen, Osez le féminisme et l’Amicale du Nid. Et le 22 juillet, une lettre ouverte rassemblant des représentantes d’associations abolitionnistes (internationales et nationales) et des célébrités de toutes générations et connotées « féministes » : Meryl Streep, Kate Winslet, Anne Hathaway et Lena Dunham (jeune féministe américaine, créatrice de la série Girls, considérée comme « la » voix féministe de la nouvelle génération).

Cette critique très médiatisée repose sur la rhétorique abolitionniste classique habituellement adressée au mouvement TDS et désormais à Amnesty International. L’organisation est décrite comme la nouvelle protectrice des clients, des proxénètes et du système d’esclavagisme sexuel : « La réputation qu’a Amnistie de défendre les droits de tous les individus serait sévèrement ternie, de façon irréparable, si [l’organisme] adopte une politique qui prend le parti des acheteurs de sexe, des proxénètes et d’autres exploiteurs plutôt que celui des exploitées. »

La critique y est particulièrement intense au Canada et en France, deux pays qui ont adopté des législations qui criminalisent la prostitution, sur le modèle suédois. Dominent dans ces deux pays des mouvements féministes acquis à la cause abolitionniste, qui avaient réussi à imposer leur vision dans leur pays mais qui subissent avec ce vote un revers à l’échelle transnationale.

En adoptant la position en faveur des travailleurs et travailleuses du sexe, AI entérine la position défendue par un mouvement politique féministe minoritaire mais qui a su se faire entendre en renouvelant la rhétorique sur le système prostitutionnel depuis les années 1970. Ce vote permet de montrer la cristallisation actuelle du débat sur la prostitution/travail du sexe. Peut-être devrons-nous sortir de la polarisation actuelle, où les mêmes arguments et diabolisations sont utilisés de part et d’autre, pour réfléchir à d’autres façons de prendre en compte toutes les complexités qui régissent les rapports de sexe. Le moralisme et la victimisation des femmes qui ont alimenté la ferveur féministe pendant un siècle trouvent aujourd’hui leur limite.

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