L’exemple de la Nouvelle-Zélande

Légalisation de la Prostitution : l’exemple de la Nouvelle-Zélande

2 septembre 2013

Catherine Healy, Collectif des Prostituées de Nouvelle Zélande

Faut-il légaliser la prostitution ?

Cela fait dix ans que les parlementaires néo-zélandais, à l’issue d’un débat étoffé, encouragés par les travailleuses du sexe, les organisations féminines en place et les défenseurs de la santé publique, ont voté des modifications aux lois régissant la prostitution

Le « Prostitution Reform Act 2003 », (PRA, la Loi sur la Réforme de la Prostitution,) a amorcé un revirement significatif dans l’approche du problème, en abrogeant des lois qui avaient été utilisées pour criminaliser les personnes qui se prostituent et avaient créé un contexte favorisant leur vulnérabilité. Tout au contraire, le PRA vise à dépénaliser la prostitution et à préserver les droits humains des travailleuses du sexe, tout en les protégeant de l’exploitation. Cette loi stipule aussi la nécessité d’assurer leur bien-être, ainsi que leur sécurité et santé au travail. En outre, elle interdit l’emploi dans la prostitution de personnes âgées de moins de dix-huit ans.

Une dépénalisation « discrète »

Aujourd’hui, comme c’était le cas avant les modifications de la loi, le travail du sexe est largement répandu dans toute la Nouvelle Zélande, dans les villes importantes et en moindre mesure dans les villes de petite taille. Or, l’industrie ne s’est pas développée ces dix dernières années. Le fait que la prostitution a été décriminalisée ne saute pas aux yeux : il n’y a pas salon érotique à chaque coin de rue, on n’y voit pas d’affiches lumineuses « Sex for Sale » -Sexe à vendre – attirant le passant.

Cependant, à l’intérieur de ces maisons closes, on affiche bien en vue des informations sur le safer sex, le sexe plus sûr. Les travailleuses sont autorisées à exercer leur métier dans des salons sous gérance sans restriction de taille, à s’organiser en collectifs où elles travaillent sur un pied d’égalité avec leurs collègues, ou à exercer seules. Les lois sur l’organisation du travail dans les maisons et les zones où l’on peut exercer ce commerce sont généralement appliquées – bien que certains conseils municipaux aient dû être poursuivis avec succès pour avoir introduit des règlements non raisonnables limitant la localisation des salons. La prostitution de rue est autorisée, l’obtention d’un permis et les tests de santé des individus ne sont pas obligatoires. Les registres d’inscription des travailleuses une chose du passé, car il est admis que ce ne sont pas elles qu’il faut considérer et surveiller comme des criminelles. Toutefois, les gérants de salons érotiques, et toute personne engagée dans une activité lucrative employant des prostituées, doivent détenir un permis d’exploitation. Ces documents sont délivrés par les tribunaux de district et retirés aux personnes coupables de délits spécifiques, y compris de violences.

Grâce au PRA, les travailleuses du sexe peuvent réclamer de l’aide et accéder à la justice si nécessaire. Alors que la police agissait auparavant en tant qu’agent d’application des lois, elle est maintenant largement considérée comme une alliée dans la prévention de la violence. Les policiers, en outre, nouent des relations non coercitives avec les travailleuses dans le cadre de leur stratégie de prévention et prouvent ainsi que la décriminalisation est effective.

Si la dépénalisation n’a pas mis un terme à toute manifestation de violence – aucune loi ne peut à elle seule y parvenir et cela dans n’importe quel contexte -, il y a néanmoins des faits irréfutables prouvant que grâce à la dépénalisation, les travailleuses peuvent refuser tout contact avec des clients qu’elles perçoivent comme potentiellement dangereux. De façon explicite, la loi renforce le droit des travailleurs du sexe de refuser de continuer à offrir des services sexuels à tout client, afin d’éviter que l’on estime qu’ils devraient renoncer à ce droit quand ils sont sous contrat avec les exploitants de maisons closes. Le gouvernement a publié des recommandations en ce sens, se fondant sur l’avis des travailleuses, qui traitent de questions de sûreté et sécurité au travail.

Un outil contre la traite des être humains

La dépénalisation du travail du sexe contribue grandement à prévenir l’exploitation, et constitue un outil significatif pour contrer la traite. « Immigration New Zealand « confirme qu’ils n’ont pas décelé de manifestations de trafic du sexe en Nouvelle Zélande malgré leurs incursions déterminées dans le secteur migrant de l’industrie du sexe.

Les rapports selon lesquels de nombreuses jeunes filles seraient victimes du trafic organisé par des gangs ne sont pas étayés par des preuves policières. Des agences gouvernementales et des associations locales, parmi lesquelles des groupements de travailleuses, collaborent pour assister les jeunes impliqué-e-s dans ce commerce. Cette collaboration n’aurait pas été possible avant la dépénalisation en raison de la méfiance d’alors envers la police.

La dépénalisation a aussi fait naître des normes et attentes plus élevées en matière de sécurité et de sûreté au travail. En effet, les travailleuses du sexe, et même leurs clients, n’hésitent pas  à sonner l’alarme s’ils suspectent que ce soit n’est pas correct sur le lieu de travail.

Des plaintes ordinaires ont été déposées pour non-paiement de la part des clients ou de la direction des salons, et elles ont été examinées par un Tribunal des Différends d’accès facile au sein de la Cour de District locale – bien qu’il n’y siège pas de juge mais bien un « arbitre », et qu’il n’y ait pas d’avocat. D’autres cas, plus graves, d’engagement illégal de travailleuses du sexe en dessous de la limite d’âge, ont abouti à des peines d’emprisonnement pour les tenanciers. Des travailleuses du sexe ont aussi usé de leur droit de s’attaquer à leur patron pour harcèlement sexuel sur le lieu de travail en s’appuyant sur la législation des droits de l’homme; un droit inimaginable avant la dépénalisation, et probablement impossible à faire valoir quand les salons étaient illégaux.

Une meilleure communication

La communication s’est aussi libérée. Avant que la loi ne change, l’industrie du sexe se dissimulait derrière des identités trompeuses, comme les agences d’escortes et les salons de massage, qui devaient prétendre que le sexe n’était pas leur activité principale. Cette distanciation avait pour résultat d’inhiber les stratégies de promotion de la santé que suivent à présent les travailleuses du sexe et leurs patrons pour mettre en place une culture du « sexe plus sûr ».

Aujourd’hui, il est peu probable que celles et ceux qui envisagent d’avoir une activité professionnelle dans le secteur du sexe soient attirés dans une entreprise qui leur promette de gagner énormément d’argent sur le champ en leur proposant une formation sur le lieu de travail, sans s’être rendu compte que le véritable objet est l’offre de services sexuels. Au contraire, ils ont légalement la capacité de rechercher des informations pratiques et réalistes pour pouvoir décider ou non d’exercer cette activité.

Bien entendu, les travailleurs du sexe et leurs clients peuvent, au cours de leurs négociations, insister davantage sur les points importants. Les travailleuses peuvent négocier avec leur client sans se demander s’il ne s’agit pas d’un policier en civil prêt à les arrêter et à compter leurs préservatifs ou un individu susceptible de leur faire du mal.

On a aussi écrasé la corruption dans l’œuf, comme ce cas récent où la police a poursuivi en justice un des siens pour avoir tenté d’extorquer au mépris de la loi des services sexuels d’une travailleuse coupable de délits.

Le ministère du travail a publié des recommandations après consultation auprès des travailleuses et des tenanciers, qui traitent de questions de sécurité et décrivent comment fournir des services sexuels, comme par exemple les services effectués au domicile de leur client.

Elles décrivent aussi les aspects de santé comme la reproduction et insistent sur la nécessité de recourir aux tests non obligatoires, en insistant sur le fait que ce sont l’utilisation du préservatif et autres pratiques du sexe sûr et non les tests eux-mêmes qui préviennent le plus efficacement la propagation des maladies sexuellement transmissibles ( STIs). La loi interdit aux exploitants de maisons closes de promouvoir le fait ou de laisser entendre que leurs employés ne sont pas porteurs de maladies transmissibles, mais leur enjoint de promouvoir explicitement le « sexe plus sûr » .

La présence d’infections sexuellement transmissibles chez les travailleuses du sexe du pays, estimées à 5000, est à comparer avec les chiffres des autres populations, le virus HIV restant négligeable. Les agents médicaux de la santé, sous les auspices du Ministère de la Santé, ont le pouvoir d’inspecter les salons érotiques et de vérifier qu’ils respectent les directives en matière de santé. Les policiers effectuent seulement des visites de routine pour vérifier les licences de vente d’alcool.

L’approche visant à permettre la prostitution, concrétisée par les lois du travail et autres lois en place, est à présent acceptée par la plupart des Néo-zélandais. Il existe des points à controverse, comme l’absence de zonage de la prostitution de rue, qui enflamme le débat : un projet de loi devant le parlement accordant aux municipalités le pouvoir de déterminer ces zones. Il est intéressant de noter que la police appuie le Collectif des Prostituées de Nouvelle Zélande dans son rejet de ce projet de loi, reconnaissant le fait que les accords informels sont plus efficaces que les régimes légaux imposés.

Les travailleuses du sexe de nombreux pays, comme l’Inde, Fiji, L’Ecosse et bien sûr les Etats Unis réclament la dépénalisation de la prostitution. Pour elles, cela va bien plus loin que de révoquer les points- clés de la législation qui criminalisent leur travail. Comme les autres, elles revendiquent les droits et les responsabilités pour faire partie de la société sans être discriminées. Le modèle néozélandais de réforme de la loi constitue un pas vers l’établissement des conditions qui leur permettront d’atteindre cet objectif.

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